Dans la grisaille du début de l'année, Angèle et son mari ont eu des envies de soleil. Ils consultent le site Abcroisiere, et choisissent un périple qui les conduira en Espagne, aux Baléares, en Italie et en Corse. Ils commencent à remplir le formulaire d'inscription lorsque s'ouvre une fenêtre précisant qu'il faut, pour participer, disposer d'un passeport en cours de validité.
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Ils arrêtent tout, car Angèle ne dispose que d'une carte d'identité. Mais une opératrice du groupe Karavel a récupéré leur formulaire, sur lequel figure leur numéro de téléphone, et les appelle. Elle leur assure qu'il sera possible d'embarquer, même avec une carte d'identité.
Le 12 mai, lorsqu'ils se présentent à l'embarquement, à Marseille, le personnel de Croisières de France les refoule, du fait que la carte d'identité d'Angèle est, en apparence, périmée, depuis le mois de mai 2014. Elle explique qu'elle est toujours valide, les cartes nationales d'identité délivrées entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2013 ayant été prorogées de cinq ans. Elle explique qu'elle n'a d'ailleurs pas pu la faire refaire, sa mairie ne le lui ayant pas permis, puisque les cartes d'identité sont désormais valides quinze ans et non plus dix.
Rien n'y fait. On lui dit que lors de l'escale en Italie, la police l'arrêtera. Elle propose de ne pas descendre du bateau à Naples, mais on le lui refuse - ainsi qu'à onze autres personnes.
Un communiqué de l'Association internationale des compagnies de croisière (Clia), en date du 10 juillet 2014, met d'ailleurs bien les points sur les « i » : « L'extension des dates de validité des cartes nationales d'identité légale en France pendant cinq ans n'est pas garantie dans tous les pays », dit-il.
« Les compagnies de croisières ne peuvent être tenues pour responsables si un passager est refusé à l'embarquement faute d'être en possession d'un document d'identité valide dans toutes les escales visitées. »
Voilà qui tranche avec les règles que le ministère de l'intérieur rappelle imperturbablement, à tous ceux qui l'interrogent sur le sujet.
Dans une lettre au Défenseur des droit, en date du 31 octobre 2014, ou dans une réponse à la question d'un sénateur, en date du 27 mai 2015, il rappelle que « la directive 2004/38/CE, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats-membres, pose le principe suivant lequel les citoyens de l'Union peuvent circuler librement sous le couvert d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité. »
Par ailleurs, « en ce qui concerne les pays de l'espace Schengen, les passages de frontières sont régis par le règlement No 562/2006 du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, qui prévoit en son article 20 que ''les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité''.
« Aux frontières extérieures de l'espace Schengen, toutes les personnes font l'objet d'un vérification minimale visant à établir leur identité sur production ou présentation de leurs documents de voyage. Cette vérification minimale est la règle pour les bénéficiaires du droit de l'Union européenne à la libre circulation.
«Il en résulte qu'un document d'identité périmé peut permettre de circuler librement sur le territoire de l'Union européenne et/ou de l'espace Schengen, dès lors que la qualité de ressortissant de l'Union européenne peut être établie par ce moyen, à plus forte raison lorsque la péremption du titre est apparente et non juridique.»
Eh bien non.
Après la publication de l'article de Sosconso intitulé Où voyager avec une carte d'identité (apparemment) périmée ?, nombre d'internautes nous ont d'ailleurs fait part des difficultés qu'ils ont subies à cause de ces cartes apparemment périmées, comme le montrent les impressions d'écran ci-dessous :
Quant au groupe Karavel, il a intégralement remboursé Angèle, mais il vient de rajouter sur son site la précision suivante: «Les cartes nationales d'identité délivrées entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2013 seront encore valables cinq ans après la date de fin de validité indiquée au verso, mais aucune modification matérielle de la carte plastifiée n'en attestera.
Dès lors, et suite aux refus par les autorités portuaires et aéroportuaires des pays concernés de touristes présentant une CNI prorogée, nous invitons nos clients à privilégier la présentation d'un passeport ou d'une CNI pour les pays le permettant, respectant la validité requise pour votre itinéraire. » Voir ci-dessous :
Nous avons demandé vendredi au ministère de l'intérieur quelles sanctions il entendait prendre contre ceux, comme les croisiéristes, qui empêchent l'embarquement, mais nous n'avons pas encore obtenu de réponse.
Nous aimerions savoir aussi quelles démarches il entend mener auprès des pays de l'Union européenne qui refusent une carte d'identité valide.
Le Défenseur des droits lui a, pour sa part, demandé de diffuser aux préfectures et aux mairies une circulaire recommandant d'autoriser le renouvellement des cartes d'identité. Il n'a pas eu de réponse. Toutefois, dans celle que le ministère a fournie au sénateur PS Dominique Bailly, il indique qu'«une évolution des règles relatives au renouvellement de ces titres ne semble donc pas nécessaire au Gouvernement».
Nous avons demandé au ministère de l'intérieur quel est le coût de fabrication d'une carte d'identité, mais là encore, nous n'avons pas encore obtenu de réponse. Selon l’Imprimerie nationale, il ne serait que de quatre à cinq euros. A combien se chiffrerait l'économie réalisée grâce à l'interdiction de les faire refaire pendant cinq ans ?
On constate que, pour ne pas avoir d'ennuis, nombre de personnes demandent un passeport, dont le droit de timbre s'élève à 89 euros pour un adulte, 45 euros pour un mineur de quinze ans et plus, et 20 euros pour un mineur de moins de quinze ans.
Le coût moyen du passeport, pondéré en fonction de l'âge, s'établit à 69 euros, alors que son coût de fabrication n'était que de 55 euros en 2010, si l'on en croit ce rapport d'information de la sénatrice Michèle André (socialiste, Puy-de-Dôme).
Chaque passeport rapporte donc au moins 14 euros aux caisses de l'Agence nationale des titres sécurisés.
Lire aussi dans Le Monde du samedi 13 juin : Carte d'identité prorogée... croisière annulée
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